Virginie Gobeil, première tueuse en série québécoise?

Virginie Gobeil



On le sait, les tueuses en séries sont beaucoup plus rares que leurs semblables du sexe masculin. Elles sont si exceptionnelles que l’histoire du Québec n’en connaît aucune. Toutefois, mes récentes recherches permettent de présenter un premier cas intéressant qui pourrait justement nous permettre d’affirmer que la première – et peut-être même la seule – tueuse en série québécoise a sévi dans la région de Montréal au début du 20e siècle.

Souvent, les femmes qui commettent des meurtres en série le font dans un cadre où elles détiennent un certain pouvoir sur leurs victimes. Selon la classification moderne, ces crimes se traduisent généralement comme des homicides médicaux. Ces femmes ne rôdent pas dans les ruelles à la recherche de victimes potentielles, mais elles s’en prennent à des personnes vulnérables qui dépendent de leurs soins. Or, ce profil correspond parfaitement à Virginie Gobeil, qui aurait fait quelques victimes entre 1902 et 1909.

L’histoire commence en 1902, lorsque La Presse publie en première page les résultats d’une enquête de coroner. Virginie Gobeil, une jeune femme qui se trouvait à la tête d’un sanatorium situé à Montréal, venait d’être tenue criminellement responsable de la mort de Mary Ann Brown, veuve de Robert George Hall. L’article allait même plus loin en suggérant la fermeture de l’établissement.[1]

L’autopsie a démontré qu’aucune maladie mortelle n’avait été découverte et que le décès de Mary Brown était attribuée « à l’inanition, au manque de nourriture; en un mot, Madame Hall est morte de faim. »[2]

En septembre 1902, le Dr McTaggart s’était rendu sur la rue Prince-Arthur pour y examiner Madame Hall, après quoi il avait conseillé de l’envoyer dans un asile d’aliénés ou dans un établissement quelconque puisqu’elle avait besoin de repos. C’est ainsi que Madame Hall s’était retrouvée au 1742 de la rue Saint-Hubert, c’est-à-dire au sanatorium de Virginie Gobeil.

Au début de novembre 1902, c’est donc à cette adresse que le Dr McTaggart avait retrouvé sa patiente. Mary Brown était très amaigrie, avec un faible pouls et une température alarmante. Le docteur recommanda qu’on la nourrisse immédiatement avec du lait ou de « l’eau de chaux ». Le lendemain, à son retour, la patiente était décédée.

Par la suite, on a appris que Mary Brown s’était retrouvée au sanatorium de Mlle Gobeil parce qu’elle avait refusé de subir une opération médicale que des médecins jugeaient pourtant nécessaire. Elle aurait même manifesté des pensées meurtrières à l’endroit de ses proches. C’est alors qu’on  avait suggéré le sanatorium de la rue Saint-Hubert.

À la fin de son enquête, voici comment le coroner McMahon a résumé les faits : « elle [Mlle Gobeil] a cette foi qui peut soulever les montagnes; il est évident qu’en soignant, elle voulait donner la santé et non la mort. Mais elle devait savoir que son traitement habituel n’était pas bon dans le cas actuel. Il y a une clause de la loi obligeant ceux qui soignent à connaître la médecine. La loi fait exception pour certaines personnes qui auraient une excuse légale, comme, par exemple, lorsqu’il n’y a pas de médecins dans le canton. Mais le sanatorium en question est à la porte des médecins. Voyant que Madame Hall, ne pouvait prendre aucune nourriture par la voie ordinaire, Mlle Gobeil aurait dû employer d’autres moyens, c’est-à-dire l’injection. »

Immédiatement après le verdict du coroner, Virginie Gobeil a été formellement accusée de meurtre mais libérée sous caution dans l’attente des procédures. Entre-temps, Mlle Berthe Arendt, assistante de Virginie Gobeil, alla voir le coroner McMahon pour lui demander conseil au sujet d’une malade qui menaçait de mourir de faim. Elle faisait référence à  une sourde-muette qui se trouvait au sanatorium depuis un mois et à qui le traitement par la diète ne faisait aucun bien. Le coroner lui avait répondu de faire appel immédiatement à un médecin et de transporter la patiente sans tarder dans un hôpital.

On ignore ce qu’il est advenu de cette seconde victime potentielle.

L’enquête préliminaire, qui s’est ouverte le 11 novembre 1902, a attiré des centaines de curieux, dont une majorité étaient venue pour défendre les intérêts de l’accusée. À ce propos, La Presse ajoutait que : « La plupart ont l’air d’être des vieilles filles à nerfs impressionnables à l’excès. Quelques têtes chaudes, toujours prêtes à applaudir à chaque bon mot en faveur de l’accusée sont aussi présentes. […] Tous ces gens croient qu’on les persécute et qu’on persécute la femme Gobeil, nous a dit ce matin un officier important de la cour : ils ne peuvent réaliser qu’il n’y a dans cette poursuite aucune animosité de religion, car ils en font eux-mêmes, pour la plupart, une question de ce genre. »[3]

Les journaux de l’époque parlent aussi d’une autre victime du nom de Frederick Bell, dont la mort avait aussi été causée par inanition sous les soins de Mlle Gobeil.

Au moment de témoigner, Mlle Arendt vanta les mérites du sanatorium de la rue Saint-Hubert, en plus de laisser entendre que c’est après avoir perdu confiance en la médecine traditionnelle que les patients aboutissaient chez eux. « À chaque répartie un peu vive de la part de Mlle Arendt, un certain groupe de chauvins, dans la salle, ne peut contenir son enthousiasme, ces gens-là trépignent sur leurs sièges, ils grimacent d’aise, ils applaudissent, se conduisent comme de véritables énergumènes. »[4]

Par ailleurs, Mlle Arendt niera que la prière représentait le principal traitement imposé au sanatorium. Finalement, le juge décida qu’il y avait suffisamment de preuves pour renvoyer Virginie Gobeil subir son procès aux assises criminelles.

Le 9 janvier 1903, une autre mort suspecte survenait au sanatorium. Il s’agissait d’une femme du nom de Boyd et originaire de l’Ontario.

Quoi qu’il en soit, Virginie Gobeil fut acquittée.

On retrouve ensuite sa trace en 1905. Le 13 septembre de cette année, elle fit publier dans La Presse une publicité invitant le public à venir soutenir sa cause, soi-disant dans le but de fonder un nouveau sanatorium.

En 1906, elle déménageait son sanatorium au 1139 de la rue Cowan, à Montréal. Rapidement, elle y reprit ses activités et son mode opératoire.

En novembre 1909, Virginie était de nouveau accusée d’avoir causé la mort de James O’Neil, un autre de ses patients. Encore une fois, la victime avait subi une diète extrême. Le Dr McTaggart se montra d’avis que la cause de la mort était due à une « niphrite interstitielle » amplifié par un manque de nourriture.

O’Neil, 62 ans, était un homme malade depuis une quinzaine d’années. Il avait passé huit semaines au sanatorium de la rue Cowan avant d’être retrouvé mort. Son cadavre ne pesait plus que 118 livres. L’autopsie a pu déterminer que son estomac ne contenait aucune trace d’aliment solide et qu’il ne souffrait d’aucun cancer, comme l’avait affirmé l’accusée.

Virginie Gobeil a témoigné lors de son procès, alléguant avoir déjà guéri un cancer en 20 jours. En contrepartie, le Dr McTaggart a rappelé que la médecine traditionnelle n’avait toujours pas réussi à guérir le cancer.

Lorsque le juge a demandé à l’accusée pourquoi elle n’avait pas fait venir un médecin au chevet de O’Neil, elle a répondu avoir perdu toute confiance envers la médecine et que celle-ci, de toute façon, n’avait jamais pu guérir O’Neil en 30 ans de soins.

Cette fois, Virginie Gobeil fut reconnue coupable d’homicide involontaire. Remise en liberté dans l’attente de sa sentence, la tueuse confia ceci au journaliste de La Presse : « Ce que je vais faire désormais? Ou mieux ce qui va m’arriver, n’est-ce pas ce que vous voulez dire, monsieur? … Est-ce que je le sais? Ayant à peine ressaisi ma pensée et encore sous le fait de cette impression de malaise et d’inquiétude qui vous envahit devant l’apparat judiciaire et après toutes les formalités et décisions du tribunal auxquelles on vous soumet, est-on capable de réflexion? […] En tout cas, je surmonterai tout cela. Je saurai refaire ma vie et donner à ma vieille mère âgée et souffrante les soins nécessaires par un travail que je n’aurai crainte d’entreprendre, fut-il aride et dur. Je possède parfaitement les deux langues et ainsi je puis parfaitement me livrer à l’enseignement, ou peut-être fonder un petit commerce. Est-ce que je ne puis pas non plus aller aux États-Unis, continuer mon œuvre de charité? »[5]

Il apparut que Virginie Gobeil s’était largement inspirée des méthodes du Dr Kellogg, lui-même un personnage controversé aux États-Unis. Finalement, la jeune femme a été contrainte d’abandonner son sanatorium en échange d’une sentence clémente qui lui évitait la prison. Toutefois, l’arrogance de la condamnée la poussa à montrer ses registres à un journaliste et ainsi prétendre qu’elle avait soigné jusqu’à 61 patients par jour. Elle prétendait également que 6 000 personnes avaient réclamés ses soins. Par contre, une trentaine de personnes seraient décédées au sein de son établissement.

En plus de tirer sa formation du Dr Kellogg, de Battle Creek, dans le Michigan, Virginie aurait également fait des études à St-Louis, dans le Missouri. Elle y avait même fondé un établissement qui lui avait soi-disant valu beaucoup de succès. Si elle était revenue à Montréal au début du siècle, c’est apparemment pour prendre soin de sa vieille mère. « Ce que j’ai fait depuis les neuf années que j’habite ici, c’est par pur amour de Dieu et du prochain. Je n’ai jamais exigé un sou de mes patients. Je maintiens mon œuvre par un peu d’argent que je possédais et par l’aide de mon frère. Mes juges ont déclaré que les motifs qui me poussaient à soigner mes semblables étaient bons et que j’étais une femme intelligente et bonne … J’ai encore des patients chez moi. Ils se présenteront aujourd’hui chez le juge qui m’a condamné pour lui demander l’autorisation de terminer le traitement déjà commencé … Quant à moi, je me soumets à la loi. »[6]

Le sanatorium de Mlle Gobeil, situé sur la rue Saint-Hubert, à Montréal.

Virginie Gobeil a probablement tenu sa promesse de retourner aux États-Unis car suite à sa condamnation de 1909 il n’a apparemment laissé aucune trace en sol québécois.

Un mois après sa condamnation, un article de la « tribune libre » dans La Presse a laissé entendre qu’une autre victime pouvait s’ajouter à la liste. Cette victime était Wilton Wadleigh, ancien maire de Kingsey, dans le comté de Drummond. La mort de ce dernier remontait à 5 ou 6 ans, ce qui nous reporte vers 1903 ou 1904. Lui aussi, il aurait consulté Mlle Gobeil pour son cancer de l’estomac. Après 32 jours de jeûne, il avait succombé. Encore une fois, l’autopsie n’a permis de déceler aucun cancer.

Si Virginie Gobeil est retournée aux États-Unis, sommes-nous en droit de nous questionner si elle n’a pas fait d’autres victimes chez nos voisins du sud?

Si la mort de James O’Neil est le seul crime pour lequel elle a été condamnée, on pourrait la soupçonner d’avoir fait au moins quatre autres victimes : Mary Ann  Brown, cette femme non identifiée mentionnée par son assistante, une femme Boyd originaire de l’Ontario, et Wilton Wadleigh.

C’est insuffisant pour la qualifier officiellement de tueuse en série, mais devant ces modes opératoires similaires la question reste non seulement en suspend mais elle est justifiée.


[1] « Le maintenant très fameux Sanatorium de la rue St-Hubert », La Presse, 7 novembre 1902, Revues et journaux québécois, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

[2] « Le maintenant très fameux Sanatorium de la rue St-Hubert ».

[3] « Le Sanatorium sur la sellette ».

[4] « Le Sanatorium sur la sellette ».

[5] « Une visite chez Mlle Gobeil », La Presse, 24 novembre 1909, Revues et journaux québécois, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

[6] « Une visite chez Mlle Gobeil ».

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