Trajectoire: le greffier de la Ville (4/100)

 

Mercredi, 1er novembre 1995

Me Gilles Poulin, 38 ans, occupait la fonction de greffier à la Ville de Trois-Rivières depuis 5 ans. Me Pierre Gagnon lui présenta une lettre de trois pages datée du 23 novembre 1990 et sur laquelle le témoin reconnut sa signature. Il fut également question d’une lettre de Me Jean Méthot datée du 28 novembre 1990 et une autre du 29 novembre de la même année, encore une fois signée par Poulin. Finalement, il identifia une lettre du 3 décembre 1990 qui comptait, elle aussi, trois pages.

Dans un subpoena, Me Pierre Gagnon avait demandé à Me Poulin d'apporter avec lui une résolution du Conseil de Ville de Trois-Rivières datant du 2 septembre 1969 et qui prouvait la suspension du détective Jean-Marie Hubert. Me Poulin spécifia au procureur que cette suspension concernait également le détective Paul Dallaire.

  • Alors je comprends, fit Me Pierre Gagnon, qu’au procès-verbal, on a noté que la résolution adoptée par le Conseil, le 18 août 1969, ayant trait à la suspension du lieutenant-détective Jean-Marie Hubert, et c’est la résolution qui a entériné ça. C’est ça?
  • Oui, répondit Poulin. La résolution dit que : « La résolution adoptée par le Conseil, le 18 août 1969 ayant trait à la suspension du lieutenant-détective Jean-Marie Hubert et du sergent-détective Paul Dallaire soit (inaudible)[1] par la présente rescindée à toute fin que de droit à la suite de la lettre du directeur de police en date du 28 août 1969 qui a été lus au Conseil et monsieur le conseiller Gaston Vallières se déclare dissident ».
  • Bon, là, vous avez le document du 2 septembre, c’est ça?
  • C’est la résolution du 2 septembre 1969.
  • Mais moi, je veux avoir le document du 18 août 1969.

Le greffier lut alors l’extrait de la résolution du 18 août 1969 : « Il est proposé, secondé et résolu à l’unanimité que le rapport du Directeur de la police, en date du 18 août 1969 recommandant la suspension du lieutenant-détective Jean-Marie Hubert et du sergent-détective Paul Dallaire soit (inaudible) présente adoptée à toute fin que de droit… »[2].

Le procès-verbal de la séance du Conseil de Ville du 12 janvier 1970, qui congédiait définitivement Hubert et Dallaire, fut ensuite déposé en preuve[3]. Poulin soulignera qu’il s’agissait d’une résolution « par laquelle messieurs Jean-Marie Hubert et Paul Dallaire sont remerciés de leurs services à compter de l’adoption de la présente résolution. »

On déposa également en preuve une autre résolution du Conseil de Ville, celle portant le numéro 48382 et datée du 29 novembre 1982 et qui concernait le congédiement du détective Lawrence Buckley[4].

C’est alors que Me Pierre Gagnon orienta le témoin vers la lettre qu’il avait écrite à la famille Dupont le 3 octobre 1991.

  • Et puis là, fit l’avocat des requérants, vous mentionnez là-dedans : « … quant au rapport d’autopsie de l’Institut de médecine légale daté du 10 novembre 1969, item 6, il n’est pas en notre possession… » C’est exact?
  • C’était exact à l’époque.
  • Oui, oui, oui.
  • Et l’année dernière, le Directeur du Service de la sécurité publique m’a informé qu’il avait retrouvé le document. Alors, dans une correspondance en date du 27 septembre 1994, je l’ai transmis à madame Dupont.

Après quelques échanges sans importance entre les procureurs, Me Pierre Gagnon reprit son interrogatoire. Il tenta d’amener le greffier sur une affaire qui avait été décidée devant la Commission de l’accès à l’information, mais Poulin le coupa net en précisant qu’il n’avait pas plaidé dans cette cause. Il ne pouvait pas témoigner sur un dossier qu’il ne connaissait pas. Ensuite, il fut question que Me Poulin n’avait pas emporté avec lui les documents originaux, qui appartenaient à la Ville.

Le témoin lut également une résolution datant du 27 février 1950 : « rapport du gérant [de la Ville] concernant messieurs Oscar Trépanier et Louis-Georges Dupont comme constables permanents. » Il s’agissait, ni plus ni moins, d’une preuve d’embauche permanente des constables Trépanier et Dupont au sein de la force policière de Trois-Rivières. Ce document prouvait que Louis-Georges Dupont travaillait au sein de la police depuis 19 ans au moment de sa mort.

Sur ce, l’avocat des requérants déclara ne plus avoir de questions. Ce fut donc à Me Claude Gagnon de s’adresser au témoin, d’abord en lui demandant si la copie du dernier document était une copie conforme.

  • Je vous avouerai que je ne suis pas le dépositaire et le gardien des documents du Service de la sécurité publique, sauf qu’un moment donné, par courrier interne, le Chef de police m’a dit : « Le document en question qu’on avait dit à madame Dupont qu’on ne l’avait pas en 1991, je viens de le retrouver, je t’en envoie une copie ». Alors, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question-là parce que le document je l’ai eu du Chef de police l’année dernière. Et ce que j’ai eu du Chef de police, c’était une photocopie que j’ai transmise. Alors, il faudrait poser, possiblement, la question au …
  • Chef?
  • … au Directeur de police par intérim qui, lui, matériellement, là, c’est lui qui a le dossier.
  • Vous parlez de monsieur Jean-Maurice Normandin?
  • C’est ça.
  • Vous, maître Poulin, vous êtes en poste, là, depuis quand?
  • Moi, je suis rentré au service de la Ville le 14 novembre 1988, comme notaire et assistant-greffier, et j’ai été promu greffier le 1er juillet 1990.
  • Alors, relativement aux documents qui ont été produits sous R-5-2, qu’on retrouve à la page 24, documents du 23 novembre 1990, lorsque vous écrivez à monsieur Jean Méthot, relativement à sa demande … parce que monsieur Méthot, à l’époque, je pense qu’il représentait la famille Dupont, c’est bien ça, suivant ce qu’on peut en…
  • Il faudrait le demander à la famille Dupont.
  • … suivant ce qu’on comprend de sa lettre, de votre lettre, là, est-ce qu’avant d’écrire cette réponse-là, à monsieur Jean Méthot, est-ce que vous aviez consulté le maire ou, en fait, le Conseil ou si c’est de votre propre chef que vous avez fait ça?
  • Je suis, en vertu de la Loi sur l’accès … la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics[5] et la protection des renseignements personnels, c’est le maire qui est la plus haute autorité au sein de la Ville, qui est le responsable de la loi au sein de la Ville et, le maire, en vertu d’une délégation écrite, m’a confié la responsabilité de l’application de la loi au sein de la Ville tant au niveau de l’accès des documents que la préservation des renseignements personnels. Lorsque j’ai une demande d’accès, j’exige à celui qui a la garde matérielle du dossier ou du document de me le produire. Et j’examine le document et, sur la base de la loi et de la jurisprudence, je prends ma propre décision.
  • Alors, est-ce que je dois comprendre, là, que vous n’avez jamais consulté le maire? Est-ce que … en fait, on a un cas litigieux, on a un cas difficile, vous n’avez jamais consulté le maire relativement à votre décision que vous aviez à prendre comme délégué?
  • J’ai pris une décision par moi-même comme je le fais toujours, sans consulter monsieur le maire.

Épilogue

Me Gilles Poulin continua d’exercer sa fonction de greffier jusqu’à sa retraite, en 2017. Pour l’occasion, il déclara : « je n’ai pas cherché à être aimé. J’ai cherché à être respecté. Je suis resté droit, envers et contre tous, en tentant d’agir avec le plus de tact et de diplomatie possible. Je me suis toujours vu comme un diffuseur de démocratie »[6].

Quelques semaines plus tard, lors des élections municipales, Gilles Poulin fit une rare sortie publique pour inviter les citoyens à voter contre le maire sortant Yves Lévesque. En fait, il appuyait la candidature de Jean-François Aubin. Peu après, Lévesque était réélu.[7]

Réflexion conclusive :

Y a-t-il quelque élément dans ce témoignage qui permette d’affirmer que le greffier Gilles Poulin ait eu un intérêt personnel ou autre de mettre des bâtons dans les roues de la famille Dupont?

Certes, un sujet qui n’a pas été abordé de front dans cette requête en mandamus, c’est qu’il est important de comprendre – à tout le moins d’essayer de comprendre – que l’accès à de tels documents peut s’avérer complexe. Le fait d’être membre de la famille d’une personne décédée – et cela peu importe les circonstances du décès – ne garantit pas l’accès à tous les documents produits. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Selon les documents présentés pendant le témoignage de Gilles Poulin, on comprend que les détectives Jean-Marie Hubert et Paul Dallaire ont été suspendus le 18 août 1969 et réintégrés le 2 septembre. Qu’est-ce que ce double congédiement, suivi d’une double réintégration, pouvait avoir en commun avec la mort de Louis-Georges Dupont?

Oscar Trépanier (Le Nouvelliste, 8 septembre 1962)

Quant au document reliant le nom de Louis-Georges Dupont à celui d’Oscar Trépanier, ajoutons que le témoignage de Gilles Poulin ne permet pas d’en savoir davantage, si ce n’est que les deux hommes ont été embauchés en même temps. Ici, c’est une revue de presse qui nous permet d’en savoir un peu plus.

En 1953, on constate que les policiers Dupont et Trépanier, au même titre que plusieurs autres – dont Paul Dallaire, Roger Lefebvre, Lucien Plourde, et Lawrence Buckley – ont assisté à un hommage rendu aux funérailles de leur collègue Alexandre Francoeur, célébré en l’église Notre-Dame par le R. P. Dionis Lafrenière et « en présence d’une foule nombreuse de parents et amis. »[8] Parmi les porteurs du cercueil, on comptait Clément Massicotte, Fernand Gendron, Georges Plourde, Patrick Massicotte, Freddie Gignac et le sergent E. Barbeau. Le défunt comptait 35 ans d’expérience au service de la police municipale.

Un autre article nous montre qu’il était encore constable en 1960 puisqu’il est intervenu dans une affaire de véhicule incendié.[9] Plusieurs autres textes font aussi référence à son travail de policier au cours des années 1950.

En 1961, Oscar Trépanier était gérant-général de l’équipe de football Les Braves à Trois-Rivières. Nous pouvons confirmer qu’il s’agit bien de lui par un extrait de la Gazette officielle du Québec, qui soulignait la création en date d’octobre 1956 de la corporation de Trois-Rivières Football Inc. Les personnes impliquées étaient « Hubert Gouin, Louis Fpteas [?], Charles-E. Boisvert, Georges Clair, tous quatre gérants, Oscar Trépanier, constable, Jean-Guy Forand, propriétaire d’un service de buanderie et Camille Bourassa, restaurateur, tous des Trois-Rivières, pour les objets suivants : Former et diriger un club sportif; promouvoir le sport et la culture physique en général, et promouvoir en particulier le sport du football, sous le nom de « Trois-Rivières Football Inc. » ».[10]


[1] Les parenthèses apparaissent ainsi dans les transcriptions sténographiques. Il en sera de même pour toutes les autres mentions entre parenthèses. Les ajouts ou précisions de l’auteur apparaîtront plutôt entre crochets [ ].

[2] La résolution du 18 août 1969 a été déposée en preuve sous la cote R-43 et celle du 2 septembre 1969 sous R-44.

[3] Sous la cote R-45.

[4] R-46.

[5] « Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels », RLRQ c A-2.1 §, consulté le 4 octobre 2018, http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/A-2.1.

[6] Paule Vermot-Desroches, « Je suis resté droit, envers et contre tous », Le Nouvelliste, 11 août 2017.

[7] Paule Vermot-Desroches, « L’ex-greffier Gilles Poulin invite les électeurs à “congédier Yves Lébvesque” », Le Nouvelliste, 17 octobre 2017.

[8] « Ultime hommage au constable A. Francoeur », Le Nouvelliste, 15 mai 1953.

[9] Le Nouvelliste, 6 avril 1960.

[10] Eric Veillette, « Octobre 70: conclusion », Historiquement Logique! (blog), 14 octobre 2018, https://historiquementlogique.com/2018/10/14/octobre-70-conclusion/.

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