Trajectoire: Jeanne d'Arc Lamy (8/100)

 Mercredi, 1er novembre 1995

                Jeanne d’Arc Lamy, 72 ans, était la veuve de Louis-Georges Dupont. Devant le juge St-Julien, son témoignage fut plutôt bref. Dans les notes sténographiques, il s’étend sur 6 pages.

                Dans le témoignage de sa fille Johanne, on a vu que cette dernière avait parlé d’un incident que seule sa mère avait vécu. Jeanne d’Arc se serait rendue au garage du poste de police no. 1, situé sur la rue Royale, afin de voir la voiture à l’intérieur de laquelle son mari avait été retrouvé mort. Dès le début de son interrogatoire, l’avocat de la veuve l’amena précisément sur cet épisode.

-          Alors Madame Lamy, commença Me Pierre Gagnon, le 10 novembre 1969, le jour où il a été découvert, qu’est-ce que vous avez constaté? Vous avez eu des visites, vous vous êtes rendue à certains endroits?

-          Oui.

-          Dites-nous ce que …

-          Il y a Roland Poitras qui est arrivé avec … il m’a apporté une lettre, une lettre qu’il m’a remise comme quoi que c’était lui qui s’était suicidé. Il était avec le détective Clément Massicotte puis le capitaine Georges Gagnon. Puis, moi, quand j’ai eu cette lettre-là, j’ai éclaté en sanglots, j’ai dit : « ça se peux-tu, j’ai dit, es-tu sûr qu’il n’a pas perdu la mémoire? Non, non, il dit, il s’est tiré en plein cœur ». Mais, moi, j’ai pensé que c’était vrai cette lettre-là, il avait tellement peur le matin qu’il est parti : « tu envoies les enfants à l’école, je t’ai dit de ne pas envoyer les enfants à l’école ». Puis le samedi comme … le 1er novembre, il m’a tout confié, qu’on voulait le tuer par rapport à l’enquête, qu’il avait témoigné contre eux autres, qu’ils voulaient avoir un gros montant d’argent : « si je ne l’ai pas ce montant d’argent-là, ils vont me faire assassiner. » Puis comme il ne l’a pas eu, ben, c’est arrivé.

-          Je reviens à la journée du 10 novembre, vers l’heure du dîner. Est-ce que vous avez été appelée à vous rendre à …

-          Je me suis rendue vers 13h00 avec mon frère Cléo, qui est décédé, la porte du garage était ouverte après le poste de police, là.

-          Vous vous êtes rendue à quel endroit, là?

-          Il y a un garage au ras le poste de police, un garage là qu’il y avait là puis, là, j’ai été voir, c’est là … l’auto qu’ils ont trouvé mon mari là, il n’y avait pas de sang, il n’y avait pas de siège de parti, comme on dit, rien. C’était tout parfait.

Me Pierre Gagnon alla se rasseoir pour laisser la place à son confrère Me Claude Gagnon, qui représentait les intérêts du ministre de la Sécurité publique.

-          La lettre qu’on vous a remise, c’était la lettre dans laquelle votre mari …

-          Il disait : « Je vous demande pardon ».

-          « Je vous demande pardon »?

-          Oui.

-          C’était bien la lettre de votre mari, ça?

-          Ben, non.

-          Ce n’était pas la lettre de votre mari?

-          Quand que l’enquêteur Gilles Paquette est venu avec l’autre, là, Benoît Racicot[1], il me l’a demandée la lettre de Roland Poitras. Puis Roland Poitras, lui, il a envoyé l’enquêteur chez nous, sa lettre a disparue, il me l’a demandée, moi, je l’ai donnée. Puis l’autre, il y en avait un autre (inaudible) Valois de Jean-Marie Hubert, celle-là, elle avait du sang puis, l’autre, monsieur Poitras, elle n’avait pas de sang. Deux lettres que … ils ont essayé de forger l’écriture à mon mari, je pense, dans le bureau de monsieur Poitras, il travaillait avec.

-          Vous dites que la lettre qui vous a été montrée, dans une enveloppe, par monsieur Poitras …, fit le juge St-Julien.

-          De Roland Poitras.

-          … ça n’avait pas de … elle avait du sang?

-          Elle n’en avait pas celle-là.

-          Elle n’avait pas de sang?

-          L’autre, je l’ai trouvée chez ma sœur plus tard, parce que je suis allée chez ma sœur plus tard parce que ça s’était tout ramassé chez ma sœur pour cacher le meurtre de mon mari. Puis, ça, c’avait fait un peu de … j’ai été une secousse sans y aller. Puis un moment donné, ma sœur a tombé malade, je suis allée puis elle m’a remis cette lettre-là. J’ai dit : « Comment ça se fait que tu as ça? Ben, elle a dit, j’ai demandé une copie puis, elle a dit, Jean-Marie Hubert me l’a donnée. J’ai dit, ce n’est pas pareil comme celle de monsieur Poitras du tout ça. » Ça fait que …

-          Comment s’appelle votre sœur?

-          Madame (inaudible) Lamy. Parce qu’elle a passé au feu mais, les lettres, elles, elle avait mis ça avec ses papiers d’affaires dans un coffre, un coffre exprès là, puis elle n’a pas passé au feu. C’est celle-là qui passe à la télévision, là, qui a du sang dessus, là. C’est celle-là que ma sœur avait parce que l’autre de Roland Poitras, je ne l’ai plus. Ils me l’ont prise, l’enquêteur Paquette de la Commission de police.

-          Votre mari, reprit Me Claude Gagnon, à l’époque, madame Lamy, était … consultait un médecin?

-          Ah! Il allait voir un médecin, il a été voir (inaudible) deux fois puis, le docteur Caron, ça fait un an qu’il n’était pas allé et puis ils ont dit qu’il était … une violente dépression. C’est faux.[2]

-          Ah! Bon. Vous …

-          Il a travaillé avec moi, il a fait mes commissions, il a fait mes boîtes à fleurs, il a fait de la peinture, il a été reconduire Johanne à l’école tous les jours…

-          Il n’était pas …

-          C’est eux autres qui ont parti ça du poste de police numéro 1.

-          Il n’était pas angoissé, votre mari, relativement à sa …

-          Il avait peur.

-          … votre situation financière? Est-ce qu’il n’avait pas des difficultés?

-          Non, non. Ça, là, là, il avait … il s’était parti un petit commerce avec Georges Gendron[3] mais on s’était servi de ça pour cacher un meurtre puis c’est Jean-Marie Hubert qui l’a fait.

-          Non, mais regardez, là, répondez à ma question. Est-ce que vous n’aviez pas des difficultés financières, là, au cours des années, là?

-          Non.

-          Un jeune couple, là, à l’époque, vous étiez plus jeunes, là?

-          Non, non, non, non. Non.

-          Vous n’aviez pas de difficultés financières?

-          Ben, non, on faisait nos paiements de maison comme tout le monde, là. Ça allait bien.

-          Bon. Est-ce que vous étiez au courant de toutes les transactions que votre mari faisait?

-          Oui. Ben, il me l’avait dit avec … il s’était associé avec Georges Gendron[4], là.

-          Oui?

-          Et puis, là, ben, c’est comme ça, ils se sont servis de ça pour cacher le meurtre, ils l’ont manipulé.

-          Il était associé avec monsieur Gendreau [sic]?

-          Ouais, ben, une petite affaire de (inaudible), ça ne faisait pas longtemps, là, un petit commerce de (inaudible), là.

-          Un commerce?

-          Puis Jean-Marie Hubert s’est servi de ça, il est venu chez nous avez [avec] Georges Gendron.

-          Et … oui, d’accord. Ce commerce-là, votre mari avait investi là-dedans, je comprends?

-          Ah! Il avait … ben, oui, il avait investi un petit peu.

-          Il avait investi un montant de 10 000$?

-          Hum, à peu près.

-          Étiez-vous au courant que monsieur Gendron en question, il voulait avoir son … en fait, il voulait que votre mari réinvestisse là-dedans?

-          Hum, hum. Ben, là, mon mari avait peur, il a remis le 10 000$ à Georges Gendron parce qu’il dit : « Je ne veux pas perdre ma maison, Georges, il n’y a plus rien que ça qui me reste. »

-          Ah! Bon.

-          Mais là, je le sais qui ce qui est en dessous de ça.

-          Ah! Bon. C’est bien, merci.

-          On s’est servi de …

-          Merci beaucoup, madame, la coupa le juge St-Julien.

Réflexions

                Pour le lecteur ou la lectrice qui prend ici contact pour la première fois avec cette affaire, il sera difficile de mettre tous les éléments en place et de se forger une compréhension acceptable des événements. Ceci dit, la veuve de Louis-Georges Dupont témoignera à nouveau en 1996. Pour l’occasion, on lui permettra d’élaborer davantage.

                On aura aussi constaté que le contenu de cette déposition rendue devant le juge St-Julien paraissait plutôt imprécise et teintée de plusieurs allégations qui restaient à confirmer ou à infirmer.



[1] Dans les notes sténographiques dont nous disposons, le nom de Racicot a été raturé par un membre de la famille Dupont et remplacé à l’écriture manuscrite par Léonard Arseneault. On accordera cependant l’importance à la version originale du document.

[2] Elle ne fait aucune mention du fait que son mari aurait aussi consulté le Dr Raymond Létourneau, comme elle fera en 1996 devant la Commission Lacerte-Lamontagne.

[3] Encore une fois, dans les notes qui ont servies pour notre analyse, le prénom Georges est rayé et remplacé par celui de Jacques.

[4] Encore une fois, nous reprenons le nom tel que vu dans les transcriptions. Cela signifierait donc que Jeanne d’Arc se serait trompé à plusieurs reprises quant au prénom de Gendron, car l’associé de son mari en affaires se nommait Jacques Gendron.

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