Trajectoire: le Dr Louis Roh et sa théorie de la main droite (10/10)

Le Dr Louis Roh, en train d'expliquer sa théorie de la main droite avec un squelette académique.

 

Mercredi, 1er novembre 1995

                Le Dr Louis Roh, 52 ans, fut reconnu comme expert par la Cour, soit comme médecin pathologiste ou, comme on le disait en anglais, medical examiner. Il travaillait dans le Westchester County dans l’État de New York. Par souci de transparence, les parties de ce témoignage qui sont en anglais seront reproduites telles qu’elles apparaissent dans les transcriptions sténographiques, c’est-à-dire dans la langue de Shakespeare. Déjà, Me Claude Gagnon se montra en désaccord avec la traduction de ce titre, faisant remarquer qu’un medical examiner avait davantage le rôle d’un coroner aux États-Unis. Toutefois, le juge St-Julien souligna que cette question serait réglée un peu plus tard. Le témoin lui-même ne tarda pas à fournir une explication :

-          A medical examiner is a forensic pathologist who is a physician, who has a regular pathology training in a hospital setting for four years, and had a sub-specialty of a forensic pathology of an additional year, and after that you take a board given by the American Board of Pathology, and after passing the board examination, you become a forensic pathologist, board certified, and then you work as a medical examiner.

Lorsque Me Pierre Gagnon lui demanda de décrire ses connaissances en balistique, le Dr Roh dira qu’au cours des 25 dernières années il avait conduit approximativement 6 000 autopsies, dont 1 000 environ étaient des causes impliquant des blessures par balles[1]. Cela incluait les homicides, les suicides et les accidents. Dans le cadre de son travail, il collaborait étroitement avec le département de balistique.

C’est par l’entremise de la Technical Advisory of Attorneys que Me Pierre Gagnon était entré en contact avec lui. Il s’agissait d’une organisation qui référait les experts aux procureurs selon leurs besoins. Ainsi, le rapport du Dr Roh fut déposé sous la cote R-20. Lorsqu’il avait rédigé ce rapport, le 29 juin 1993, il dira avoir disposé d’une lettre lui racontant les circonstances de l’affaire, de l’autopsie du Dr Hould, du rapport balistique, ainsi que six photos noir et blanc, une photo couleur, et finalement trois négatifs de film.

Figure 10. Le Dr Louis Roh, en train d'expliquer sa théorie de la main droite.

On déposa également le rapport d’autopsie traduit en français sous la cote R-52h et un rapport balistique traduit lui aussi sous R-52i. Me Claude Gagnon en lut alors une partie :

-          One (1) casing, and five point thirty-eight (5.38) cal full metal jacketed cartridge. … Bon, alors, the full metal n’est pas exact.

-          Bin, là, répliqua Me Pierre Gagnon, c’est ce que mon confrère dit. O.K. Là-dessus, moi, je ne suis pas d’accord.

Le juge prit note de l’observation. Retenons de ce détail que cette partie du rapport du Dr Roh se retrouverait bientôt au centre d’un litige, comme ce sera d’ailleurs le cas de plusieurs autres éléments soulevés par son analyse.

-          Alors, reprit Me Claude Gagnon, à prime abord, je dois m’objecter au dépôt du document tel que traduit. Maintenant, là, je ne sais pas qui l’a traduit. Alors, est-ce que c’est mon confrère, par des traducteurs, ou est-ce que c’est le docteur Roh, je le sais pas.

-          Non, non, répondit Me Pierre Gagnon.

-          Je présume que c’est mon confrère, par un traducteur?

-          C’est ça. Bien lui, le traducteur, c’est Paul Bandilla…

Bandilla ne sera jamais appelé à témoigner dans cette cause. Me Claude Gagnon raconta alors que le Dr André Lauzon lui avait fait remarquer que sur la traduction française il apparaissait la mention suivante : « une douille et cinq cartouches calibre 38 à pointe chemisée ».

-           Alors, moi, évidemment, la traduction qu’on en fait de « full metal jacketed » c’est pas la même chose, suivant ce qu’on me fait … mon client me fait remarquer et mon expert me fait remarquer. Bon. Alors, peut-être que mon confrère a des remarques à faire faire à la Cour … à faire à la Cour, j’aimerais qu’il les fasse, mais moi, tel que traduit, je m’objecte, parce que ça peut avoir une incidence.

Encore une fois, le juge St-Julien prit l’objection sous réserve. Me Pierre Gagnon fit alors remarquer que le témoin Jacques Dupont avait permis le dépôt d’un autre rapport balistique (R-16) qui disait : « une douille et cinq (5) cartouches calibre 38 à pointe chemisée (2) ». Le juge St-Julien le coupa pour rappeler que les procureurs n’étaient pas des experts.

C’est ensuite que Me Pierre Gagnon reprit son interrogatoire. En voulant déposer les négatifs, Me Claude Gagnon voulut aussitôt savoir ce que ceux-ci représentaient exactement. L’avocat des requérants fut alors contraint d’expliquer que les négatifs avaient été fait à partir des photos que la famille avait reçus de l’Institut de médecine légale de Montréal. Donc, on avait photographié ces photos dans le but de créer des négatifs et cela dans l’espoir de pouvoir en faire des agrandissements. Bref, des copies. On verra plus tard que les négatifs originaux sont toujours sous scellé au cœur des archives de la Ville de Trois-Rivières, et cela probablement pour encore plusieurs décennies.

Or, soulignons que ces photos représentaient la plaie au dos, la plaie au thorax, et deux similaires du haut du corps, incluant le visage.[2] Me Pierre Gagnon reprit ensuite son interrogatoire.

-          So, I notice, Dr Roh, that you had information that Mr Dupont was found … Mr Dupont was found on November 10th, 1969 in a car?

-          That is correct.

-          According to the pathologist who performed the autopsy – and I’m referring to the autopsy report that you had to analyze – he says that the body was in a well preserved condition. Can you comment that, please?

-          According to the weather starting from the … November 5th to 10th, minimum temperature range is 42, and the maximum 57.

-          Fahrenheit or Celsius?

-          Fahrenheit. The body usually goes through certain changes after death, namely … known as decomposition, especially if the body is in … inside a car, during the daytime, even tough temperature outside is 50, 56, it can be warmer. In other words, if the body was inside a car for five days, I would expect to see more decomposition than what is described in the autopsy.

Après que Me Pierre Gagnon eut mentionné que le Dr Hould avait écrit, dans son rapport, n’avoir remarqué aucun autre traumatisme sur le corps hormis les plaies par balle, le Dr Roh dira : « it just shows us some deformity of the nose, and some discoloration in black and white, which is quite different from the R-51, on the lef hand side. These changes, since it’s a black and white photo, I cannot be certain whether it’s indeed a trauma or deformity, but the configuration is certainly different.”

-          Okay, fit Me Pierre Gagnon, the configuration is certainly different, and … but … but, if I understand, you cannot comment on the significance of that difference?

-          That is correct, because at times, the body being lying face down can make a little deformity, and also the settlement of the blood, known as the lividity, can change the colour.

Ensuite, l’avocat des requérants l’amena sur le sujet du rapport balistique pour lui demander de commenter le fait qu’aucune empreinte n’avait été trouvé sur l’arme.

-          Well, the examination of the gun, not always, but sometimes shows the fingerprint of the person who was holding the gun at the time of discharge. Even the owner of the gun can leave a fingerprint on the gun. The fact that they found no fingerprint is quite unusual, in my opinion.

Pour lui, il serait “inhabituel” de ne retrouver aucune empreinte sur l’arme. Lorsque l’avocat lui demanda sur quoi il se basait pour présenter cette opinion, le Dr Roh eut cette réponse :

-          Because the … the gun has a grip, and there are metal portions which can easily accept a fingerprint imprint on it. Those things can be easily recognized by the properly trained fingerprint expert.

Ensuite, il expliqua que dans plus de la moitié des cas impliquant une arme à feu qu’il avait étudié par le passé, il avait constaté la présence d’empreintes. Il ajouta que dans le cas présent il s’agissait d’une arme de service et que Dupont devait la manipuler quotidiennement. Toutefois, personne ne semble avoir réfléchi au fait que Dupont, avant sa mort, s’était retrouvé chez lui durant un mois. Son arme de service, qui reposait alors dans un endroit quelconque au poste de police No 1, semble-t-il, n’aurait pas été manipulée. De plus, rien ne pourra jamais nous informer sur les habitudes que le policier Dupont avait dans la manipulation de cette arme. Lorsqu’il entrait au travail le matin, avait-il pour habitude, par exemple, de la laisser constamment dans son étui? L’installait-il sous son veston sans jamais sortir l’arme de son étui? Et à quelle fréquence nettoyait-il son revolver?

Ces questions n’ont jamais été posées à qui que ce soit et elles ne trouveront jamais de réponse satisfaisante. Ainsi, les premières affirmations du Dr Roh paraissaient-elles hypothétiques?

D’après les documents qui lui avaient été fournis, le Dr Roh en vint à la conclusion que la balle retrouvée dans la banquette était faite de plomb et qu’elle pesait 154 grains, « that means it’s a full bullet, there’s not … no parts missing. » Ainsi, disait-il, ce projectile de plomb retrouvé dans la banquette pesait 154 grains et qu’à ce poids il était complet.

Le grain est une unité de mesure ancienne principalement utilisée aujourd’hui dans le milieu balistique. Par exemple, pour obtenir 1 gramme il faut 15,43 grains. De plus, signalons que selon la littérature spécialisée, il n’y a jamais eu de projectile complet à 154 grains dans le calibre .38. La mesure qui s’en rapproche le plus se situe à 158 grains.[3] Peut-on en déduire qu’il manquait 4 grains à la balle qui avait tué Dupont?

Le Dr Roh admit ensuite que l’arme avait été trouvée dans la voiture et quand on l’avait ouverte le barillet contenait cinq cartouches et une douille. De plus, selon le rapport balistique de l’époque les cinq cartouches non utilisées comportaient des projectiles « fully jacketed bullet ». Quand Me Pierre Gagnon lui demanda ce que disait le rapport de balistique à propos des cartouches trouvées dans le barillet, Me Claude Gagnon s’objecta.

-          Le témoin expert a produit deux pages d’expertise, dit-il. Dans un premier … dans trois paragraphes, il décrit ce qu’il a reçu et la situation telle qu’elle se présente et dans trois autres paragraphes, il donne son opinion sur, en fait, une plaie de sortie et une plaie d’entrée. Maintenant, le témoin vient nous critiquer maintenant, dans une autre expertise, orale, que je ne connais pas, un rapport balistique. Votre Seigneurie, le rapport balistique, il a été produit, on s’objecte pas à ça. Ça a été remis au témoin expert. Maintenant, si le témoin expert voulait se prononcer sur le rapport balistique ou critiquer le rapport balistique, il n’avait qu’à le faire dans son rapport d’expertise, Votre Seigneurie. Alors, moi, actuellement, je suis pris par surprise, je suis pris dans une situation où un témoin expert vient critiquer une série de documents. Je ne connais pas, en fait, ce qu’il va nous dire et j’apprends à mesure et l’objectif, évidemment, du Code de procédure, quand on demande à l’expert de produire un rapport …

Bref, le procureur du ministère public faisait valoir son droit de pouvoir être informé à temps afin de préparer son contre-interrogatoire.

-          Là, j’apprends un tas de choses, poursuivit Me Claude Gagnon. Je ne peux pas consulter qui de droit, hein, et je m’objecte à ce que mon confrère continue dans ce genre de situation-là. Qu’il nous parle de son expertise sur les plaies d’entrée et sur les plaies de sortie, mais là, concernant une expertise, là, sur la balistique … […]

Là-dessus, le juge se tourna vers l’avocat des requérants pour lui demander où il voulait en venir avec cette question à propos de balistique, puisque « même si quelqu’un a pu avoir eu affaire à 1 000 cas sur 6 000 de dossiers de meurtres, de suicides, d’accidents de chasse ou ce que vous voudrez, ça n’en fera pas nécessairement un expert. »[4]

À ce propos, Me Pierre Gagnon fit valoir que la présence du Dr Roh coûtait chère à ses clients. Ensuite, il fut question que le Dr Dowling n’avait pas disposé du document concernant la mention « full metal jacketed bullet ».

-           Voyez-vous, là, on se place dans une position qui est la suivante, Maître Gagnon, intervint le juge. Moi, quand je lis le rapport du docteur Roh, il y a quelque chose qui – disons, je dirai entre guillemets – qui me « chicotte » un peu. On parle de plaie d’entrée, plaie de sortie, c’est bien évident qu’il y a deux théories aujourd’hui devant moi… À un moment donné, ça dit ceci, au bas de la première page du docteur … du rapport du docteur Roh : « The exit wound usually shows a tear on the skin with a marginal abrasion since bullet perforates the skin from the inside without spinning ». Je me pose la question : c’est où qu’on s’en va avec ça? Mais votre confrère, lui, il a produit … du moins, on a un rapport balistique, il est dans le dossier. Ça fait longtemps qu’il est là, mais si vous voulez faire témoigner le docteur Roh sur la question de balistique, on doit admettre … vous devez admettre qu’il est pas un expert en balistique.

-          Euh…, balbutia Me Pierre Gagnon, c’est-à-dire qu’on n’a pas fait la preuve qu’il était expert en balistique.

-          Bien moi, son curriculum vitae, j’ai rien vu, rétorqua le juge St-Julien.

Le débat se poursuivit encore un instant, le juge expliquant que s’il permettait au Dr Roh de témoigner sur la question balistique cela n’aurait pas de poids autant que si un véritable expert en balistique témoignait sur la question. Il le mit également en garde qu’en permettant au Dr Roh de parler de cette discipline il devait aussi laisser la porte ouverte à la partie défenderesse pour contredire ces affirmations par la présence d’un autre témoin, question d’être juste envers tout le monde. Il prit donc l’objection sous réserve tout en offrant au Ministère public le loisir de produire une contre-expertise un peu plus tard « parce que c’est vrai qu’il est par surprise », confirma le juge.

Il signala à Me Pierre Gagnon que « je veux que ce soit clair et net, des surprises, j’aime pas ça ». Normalement, selon le Code de procédure civile il fallait que ce soit connu 10 jours avant l’audition.

C’est seulement ensuite que le Dr Roh put répondre à savoir ce qu’était un projectile « full metal jacketed bullet ».

-          A full metal jacketed bullet is the … instead of having just a lead bullet, some bullets have a layer of copper outside. Inside you have lead, and outside it’s a layer of copper. Sometimes they put this copper completely around the lead, known as a “full jacket”, or sometimes they put the … this … the jacket … the copper jacket hallway, known as a “partial jacketed bullet”. Nevertheless, if there is a copper … layer of copper around a lead bullet, it’s known as a “jacketed bullet”, whether it’s full of partial.

Donc, d’après le reste de son témoignage, les cinq balles retrouvées dans l’arme étaient de type « jacketed bullet » de marque Dominion. Selon lui, les six cartouches étaient de la même compagnie.

Il ajouta qu’une balle pleinement chemisée pesait 130 grains et qu’une balle de plomb complète pesait 154 grains. Il alla jusqu’à dire que le projectile qui avait causé la mort de Dupont en 1969, en plomb, avait été tiré avec une autre arme que celle retrouvée dans la voiture. Car, selon lui, la balle mortelle avait des stries causées par les rayures internes du canon, tandis que les balles chemisées ne pouvaient avoir ces stries imprimées puisque le cuivre recouvrant le plomb ne se laissait pas rainurer comme le plomb.

Toujours selon son opinion, la trajectoire de la balle était de l’arrière vers l’avant. Donc, pour lui, la plaie au dos, située entre la 10e et la 11e côte, et à 4 cm de la colonne vertébrale, était la plaie d’entrée. En reliant les deux plaies, celle au dos et celle à la poitrine, le Dr Roh fit une démonstration pour tenter d’établir l’angle de la trajectoire. Selon lui, il n’y avait aucune preuve démontrant que la balle pouvait venir de l’avant. Et c’est ainsi qu’il présenta sa théorie de la main droite.

-          But let’s assume that, indeed, he was … the shot came from the front. That indicates that the person … right-handed person has to hold the gun above de chest, pointing downward, and twisting his wrist, and fire the gun. That is very unnatural way of doing it. The most common suicide by firearms are usually … people usually start where easily, easily accessible, for example, temple. It’s very easy place to place the gun and pull. For example, in the mouth, that’s the easy way to put it. But nobody can contour, or distort his body, and bring it up, and … and then make a funny … strange angle, pointing downward, and shoot. There are certain times – although it’s not common – but certain times people shoot themselves with a handgun in the chest area, in which case they hold the gun and pull the trigger, and then, in which case, the bullet goes upward, the angle. That is more anatomical and natural angle you create with a gun. And that’s why the … you find the bullet going upward. But people don’t usually go through these funny, difficult motions, or posture to create this gunshot wound, which is very difficult to create. If you have actual gun with two inch barrel, holding it in the right hand, pointing downward, putting the gun on the front of the chest, that’s very difficult to do.

-           Okay, this is for the trajectory. Now if we talk directly to the wounds, you had to examine the … the front wound, and also the back wound…

-          Yes.

-          … according to the pictures?

-          And the report.

-          And the report?

-          Yes.

-          Just to close on the trajectory of the bullet, what is the … if you look at the autopsy report, what is the trajectory described in the autopsy report?

-          Well, autopsy report …

-          Like, exactly whe … according to the autopsy report, where did the bullet go through?

-          The … actually, there are two autopsy reports written, 1987 and another one written 1969.

Il fut alors question d’une traduction des rapports d’autopsie du Dr Hould. Le Dr Roh expliqua que, selon le rapport de 1987, la balle serait entrée 8 mm à gauche du sternum avant de perforer le cœur et de ressortir par le dos, dans le 10e espace intercostal[5], ce qui voulait dire entre la 10e et la 11e côte. De plus, on y notait que la blessure avait laissé une certaine quantité de sang du côté gauche de la cavité de la poitrine. Dans le rapport de 1969, la trajectoire était similaire, sauf qu’elle aurait traversé la colonne vertébrale, tandis que le rapport de 1987 démontrait que la balle n’avait atteint aucun ossement.

Me Claude Gagnon fit une objection destinée à faire remarquer que sur le rapport de 1969 il est écrit : « une sortie dorsale para-vertébrale gauche sous la dixième côte » alors que sur la traduction anglaise on lisait « … and dorsal exit via left spine below … ».

-          Alors, moi, la compréhension de ce que vient dire le témoin avec sa description du petit bâton, et caetera …, là, je comprends, là, que la balle aurait passé sur la colonne vertébrale, entré dans la colonne vertébrale d’une façon ou d’une autre alors que ici, para-vertébrale gauche et via, pour nous, c’est pas la même chose. Alors, on a vraiment une difficulté de traduction et là, là, je m’objecte, bien sûr, à cette partie de témoignage.

Encore une fois, le juge prit l’objection sous réserve. Me Pierre Gagnon reprit son interrogatoire en demandant au Dr Roh d’expliquer en général ce qu’était une blessure d’entrée et une de sortie. Ainsi, il expliqua qu’un projectile sortant du canon d’une arme à feu est en rotation sur lui-même et qu’en pénétrant dans un corps il agissait un peu comme une perceuse, causant un aspect irrégulier du contour de la plaie et une collerette érosive autour de la perforation. De plus, lorsque l’arme se trouvait près du corps au moment du tir on pouvait retrouver des traces de poudre. Évidemment, les plaies de suicide étaient presque toujours des tirs à bout touchant.

Pour une plaie de sortie, selon ses observations, la balle cessait de tourner sur elle-même, ce qui expliquait pourquoi, au moment de sortir, elle repoussait la peau vers l’extérieur, causant ainsi un contour plutôt irrégulier. De plus, il fit remarquer que la plaie de sortie était toujours plus large que la plaie d’entrée. Tout ceci, cependant, était d’ordre général.

Dans le cas de Dupont, le Dr Roh souligna que la plaie à la poitrine avait un diamètre de 10 mm alors que celle dans le dos en avait un de 6 mm. Donc, la plaie au dos était plus petite que celle à la poitrine, ce qui l’amenait à dire que Dupont avait été tiré par derrière. De plus, il fit remarquer l’effet goutte d’eau de la collerette érosive de la plaie au dos, qui ne correspondait pas, selon lui, à la trajectoire de tir appuyée par les deux rapports du Dr Hould. De plus, il vit dans la plaie au dos des marques de vêtements, ce qui prouvait qu’il s’agissait d’une plaie d’entrée.

De plus, il souligna que la plaie à la poitrine ne comportait aucune collerette érosive et qu’une flamme sortait du canon de l’arme. Celle-ci aurait dû laisser des marques de brûlure sur la peau, au point de brûler des poils. Or, les poils semblaient intacts sur la photo de la plaie à la poitrine.[6] Ensuite, le Dr Roh admettra avoir basé ses conclusions selon le livre Medical Legal Investigation of Death dont l’auteur était l’expert Werner U. Spitz.

Au cours des échanges, il fut question que le Dr André Lauzon se trouvait dans le prétoire et qu’il avait son propre exemplaire du livre de Spitz. Le Dr Roh se servit d’illustrations parues dans ce livre pour montrer les effets de plaies par balle en général afin de distinguer les plaies d’entrées et les plaies de sortie. Il réfuta également la théorie de la plaie de sortie avec appui, qui sera plus tard défendue par les experts du ministère public. En se basant sur le type d’arme, le Colt .38, il expliqua que le guidon était en retrait et que pour cette raison il n’avait pu s’imprimer sur la peau autour de la plaie à la poitrine, comme les experts de la partie adverse allaient bientôt l’affirmer. Selon ce que nous verrons bientôt, on expliqua que les gaz sortant de la bouche du canon pouvaient soulever la peau au moment du tir, ce qui aurait ainsi amené la peau en contact avec le canon. Or, le Dr Roh affirma que ce phénomène de gonflement se produisait uniquement pour des tirs à la tête car la présence d’un os solide sous la peau, en l’occurrence le crâne, favorisait ce gonflement. D’autre part, il ne fit aucune mention du fait que le sternum aurait pu jouer le même rôle dans le contexte de la présente plaie à la poitrine.

Finalement, il parla de 6 mm pour la plaie au dos et 12 mm pour celle à la poitrine. Sur ce, le juge ajourna pour une quinzaine de minutes. Au retour, ce fut à Me Claude Gagnon de contre-interroger l’expert américain.

-          And when you have reached the conclusion that the trajectory was from the back to the front, did you take into account that the bullet was found in the seat of the car?

-          I was told, but I don’t know exactly where it was found, and how was it found.

-          But if I tell you that the bullet was found in the seat of the car, and there was no other marks in the car for … from the bullet, would you change your mind, would you change your report?

-          It may, but the bullet found in the seat didn’t come from the gun.

-          And you say that because …?

-          Because the … the bullet found in the seat was a lead bullet, and the bullet he had in his gun was a fully jacketed bullet.

Me Claude Gagnon lui fit ensuite admettre qu’à l’aide des photos il lui était impossible de voir des marques de brûlure sur la chemise, au niveau de la poitrine. C’est alors que le procureur du ministère public donna l’impression de démolir la théorie de la main droite avec une seule question :

-          Was it … would it be impossible for Mr. Dupont to use his both hands, and with his … his pouce … his thumb, would it be impossible for Mr. Dupont using his gun with his tow …

-          Tow fingers, l’aida le juge St-Julien.

-          … tow fingers? Both hands? And shoot himself?

-          That is possible, but why would he do that? That’s not the way people shoot the gun.

Réflexion conclusive

                La théorie de la main droite, selon laquelle il est difficile – voire impossible – de se suicider en se tirant à la poitrine tout en obtenant l’angle de tir constaté dans le corps de Dupont, semble s’être écroulé sous une simple question de Me Claude Gagnon. Lorsque celui-ci lui proposa le fait que, peut-être, Dupont se serait suicidé en utilisant l’arme à l’envers tout en la tenant à deux mains, le Dr Roh avait répondu ceci : « c’est possible, mais pourquoi il aurait fait ça? Ce n’est pas comme ça que les gens tirent avec une arme »[7].

                En tant que scientifique, le Dr Roh ne pouvait exclure la possibilité que Dupont ait utilisé l’un de ses pouces – ou les deux – pour presser la détente. En fait, rien n’a jamais prouvé dans cette affaire qu’il avait utilisé son index.

                Ensuite, l’expert embauché par les requérants a mentionné que dans plus de la moitié des cas qu’il avait lui-même étudiés, il avait constaté la présence d’empreintes digitales. Ses mots exacts furent : « more than half of the cases, you can find either fingerprints or partial prints on the gun. Finding absolutely no print at all is quite unusual. » Or, « plus de la moitié des cas » ne représente pas une donnée précise. Par exemple, le référendum québécois de 1995 a été remporté par le clan du NON avec un peu plus de 50% des voies. C’est là « un peu plus de la moitié » et pourtant on ne peut pas dire que les souverainistes n’existent plus. Si les empreintes sont présentes dans « un peu plus de la moitié des cas », alors c’est qu’elles sont absentes dans « un peu moins de la moitié des cas ».

                Gardons à l’esprit que le Dr Roh n’a pu interpréter les véritables blessures puisqu’il n’était pas impliqué au dossier en 1969. Il a aussi analysé un projectile qu’il n’a pas tenu dans ses mains. Donc, 24 ans plus tard, son explication se basait sur quelques documents expédiés par l’avocat des requérants. Était-ce suffisant pour obtenir une conclusion crédible?

                On a également vu la présence d’un certain débat autour de la question de la traduction. Est-ce que le Dr Roh aurait formulé ses interprétations d’après un document mal traduit?

                Il est étonnant de l’entendre dire, alors qu’il est contre-interrogé par Me Claude Gagnon, qu’il n’a pas tenu compte du rapport du détective Clément Massicotte, celui qui avait trouvé le projectile dans le dossier de la banquette de la voiture. Comme nous le verrons plus en détails ultérieurement, Massicotte a écrit noir sur blanc dans son rapport avoir trouvé le projectile dans la banquette de la voiture. Le fait de rejeter le contenu de ce document équivalait à sous-entendre que Massicotte était un menteur.



[1] Cela donne un ratio d’un peu plus de 16% du nombre total de ses autopsies.

[2] Figures 8 et 9.

[3] Gun Digest 24th Anniversary 1970 Deluxe Edition, 24e éd. (Chicago: John T. Amber, 1970).

[4] À cet instant, le juge référa à l’article 402.1 du Code de procédure civile.

[5] Espace entre deux côtes.

[6] Figure 14.

[7] « That is possible, but why would he do that? That’s not the way people shoot the gun”.

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